Nous sommes à un moment où les dangers écologiques nous forcent à reconsidérer nos rapports avec notre environnement et à dépasser la séparation stricte entre nature et culture. Prendre pour acquise l’égalité de principe entre humains et non-humains, et comprendre comme cultures les stratégies de vie de ces derniers : accepter comme évidence ce dont nous nous doutions de tous temps. Mais refuser ce « grand partage », dont l’anthropologue Philippe Descola a montré qu’il n’était qu’un effet de perspective, ne peut pas revenir à abandonner notre héritage artistique. La question ne peut pas être de bâtir sur une table rase car il n’y a pas de table rase. Elle est plutôt de trouver comment continuer l’histoire de la représentation de ce que nous appelions « nature », et tout particulièrement, la représentation du paysage. Comment rendre compte du fourmillement du monde dont nous sommes, nous humains, une composante ?
Dans Apprendre à voir, l’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual a pu montrer que ce souci n’était pas entièrement nouveau et qu’il était possible de faire une histoire de l’art « environnemental ». De La grande touffe d’herbe d’Albrecht Dürer au début du xvi° siècle aux toiles de Martin Johnson Heade à la fin du xix°, et jusqu’à notre contemporain Marcus Coates, une lignée d’artistes peut être dessinée, s’attachant à représenter les vivants non-humains, non pas comme les décors ou les allégories de nos passions humaines, mais pour eux-mêmes, en fonction de leurs existences, de leurs enjeux, de leurs drames. C’est là mon lieu d’inscription : sans renier mon « être humain », ni usurper des places physiques ou techniques qui ne sont pas les miennes, je veux donner à voir, avec mon travail sur la photographie, un paysage « rééquilibré » entre les différentes formes de vies, par-delà les dichotomies nature/culture et humains/non-humains.